J’ai eu le plaisir d’inaugurer samedi matin l’exposition « Parcours de Harkis et de leurs familles » au Musée Terre et Temps « Edith-Robert ». en présence notamment de Yamina CHALABI, présidente d’honneur de l’association des rapatriés anciens-combattants d’Afrique du Nord l’association (ARACAN) ; Brahim OULGUIMA, président de l’association Harkis, oubliés de l’Histoire »; de représentants de l’Office National des anciens combattants et victimes de guerre, mais aussi de membres du Conseil municipal dont Léa PAYAN, déléguée à la Culture ; Cécilia LOUVION, Bernard CODOUL, Franck PERARD, adjoints et de nombreux Harkis venus de toute la région.
Une magnifique et très émouvante exposition qui nous offre de perpétuer un travail de mémoire que nous devons à ces hommes et ces femmes qui, pour avoir répondu à l’appel de la République, ont sacrifié leur jeunesse et ont accepté le fardeau très lourd de la précarité et de l’incertitude pour eux et leurs descendants.
Grâce à la volonté de deux hommes, Yvan DURAND et Elie FAUQUE, et au soutien du Rotary Club dont le Président de l’époque était Maître Jacques PERRIN, Sisteron est devenue une terre d’asile pour 24 familles harki. Elles arrivèrent de la région parisienne, du camp de Rivesaltes ou de Saint Maurice l’Ardoise et s’installèrent au lieu-dit « le logis neuf » en novembre 1963.
Une histoire douloureuse et souvent déformée
Cet hommage est également un rendez-vous avec l’Histoire, une Histoire mal connue, une Histoire douloureuse et souvent déformée. Sous la houlette du Lieutenant Durand, responsable du classement des harkis dans les Basses Alpes, c’est en novembre 1963 que le village de Harkis a accueilli les premières familles. A cette date on comptait une centaine de villages de ce type en France. D’ailleurs le tout premier d’entre eux fut édifié dans les Basses-Alpes à Ongles. Puis ce fut à Jausiers et à Saint-André les Alpes.
Quatorze bâtiments de deux logements chacun ont ainsi été édifiés à Sisteron par l’Administration des Eaux et Forêts, sur la route de Gap, pour un coût à l’époque de 15 300 francs et ce, à proximité du silo et non loin de l’usine Sanofi actuelle. 30 familles de Harkis ont été reçues dans ces logements de 36 m2 construits en bois, isolés, reliés à l’eau potable, à l’égout et à l’électricité, et équipés de douche et WC, disposant d’une chambre et d’un séjour. Non loin du village, se trouvait une épicerie ainsi que l’école du quartier de la Blanquette où les enfants des harkis furent scolarisés dès leur arrivée. Les « Pieds Noirs » quant à eux, sont arrivés dès 1962, dans leurs familles ou chez des amis. Un cinquième village harki fut aussi construit à Manosque en 1964 pour 40 familles. Ajoutés aux quatre autres villages déjà existants, ce sont près de 170 familles de Harkis qui arrivèrent en deux ans dans les Basses Alpes totalisant plus de 700 personnes.
A Sisteron, nous dénombrions une cinquantaine de familles de rapatriés (dont 30 familles de Harkis) représentant 230 personnes. Selon le recensement de 1968, 3 936 rapatriés d’Algérie étaient domiciliés dans le département. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ils n’ont pas choisi de venir dans les Alpes. Les « Pieds Noirs » comme les harkis, ont posé leurs valises là où ils ont pu. Et même si certains harkis ont suivi une affectation pour leur travail d’entretien des forêts à Sisteron, ils sont arrivés dans notre ville après avoir passé parfois plus d’une année dans d’autres centres d’accueil comme Rivesaltes ou St Maurice l’ardoise.
Les Harkis ont plutôt bien été accueillis à Sisteron, contrairement à d’autres villes ! Et même si les discussions de l’implantation du village harki furent âpres au sein du Conseil Municipal de l’époque, le maire Elie Fauque se montra favorable au projet dans le cadre de la solidarité nationale. Sous la direction du Lieutenant Durand qui ouvrit un chantier forestier à Sisteron employant la trentaine de harkis arrivés à Sisteron, une monitrice de promotion sociale, Mme FENOV et un chef de hameau furent chargés de l’accompagnement des familles. Tandis que les hommes s’affairaient quotidiennement à l’entretien du domaine forestier du département, les femmes ont fait leurs premiers pas dans leur nouvelle vie. Les enfants vont à l’école. Le hameau n’est cependant qu’une étape pour certaines familles qui n’y passent que quelques mois. D’autres y resteront plus de dix ans avant d’être relogées dans les ensembles de Beaulieu. Les relations avec les Sisteronais, marquées par la suspicion au départ, deviendront cordiales au fur et à mesure que le temps passait. Entre la France et l’Algérie, entre ici et là-bas, le hameau constitua un véritable espace de transition entre deux sociétés, entre deux cultures, d’abord par le désir de s’intégrer. Et puis après le drame, la déchirure vécue en Algérie, l’exode, après les tueries, les rapatriés n’aspiraient qu’à se reconstruire et à trouver leur place en France.
Les enfants des Harkis ont tous été scolarisés et ont souvent reçu en héritage de leurs parents la volonté de réussir, d’étudier, de travailler. Il faut savoir qu’il s’agissait de familles souvent nombreuses et dans lesquelles les enfants ont dû s’employer pour s’en sortir et s’intégrer. Les enfants de la première génération ont pour la plupart tous poursuivi de longues études et ont un travail. Aujourd’hui, ils sont nombreux à avoir construit des villas, à vivre pleinement leur vie professionnelle, familiale et sociale à Sisteron, s’enracinant totalement en Haute Provence. Certains d’entre eux n’hésitent plus d’ailleurs à participer activement à la vie citoyenne de Sisteron, tout comme leurs descendants participent activement à l’économie de la ville et dans tous les domaines d’activités.
Pour toutes ces raisons, je suis une nouvelle fois très fier de leur rendre hommage aujourd’hui et j’aurais une pensée émue pour Monsieur Bouzid CHALABI, lui-aussi un grand défenseur de la cause des Harkis, qui nous a quittés il y a à peine 3 mois.